Si vous avez la chance de vous retrouver un jour dans une assemblée où il y a André Dupon, vous le reconnaitrez entre mille. C’est celui qui vous ouvre d’emblée ses bras pour vous accueillir chaleureusement avec un sourire charmeur dont il a le secret. C’est ce qui m’est arrivé. L’empathie qu’il dégage est tellement rare de nos jours que l’on en est surpris. Mais il suffit de quelques minutes pour vous rendre compte qu’elle est vraiment sincère. Et quand vous découvrez son parcours et la manière dont il gère son groupe Vitamine T, malgré les 100 millions d’euros de chiffre d’affaires qu’il génère, vous vous dites, « il n’y a pas photo, c’est vraiment le manager le plus humain au monde ». D’autant plus qu’il n’aime pas les superlatifs sur sa personne et qu’à son contact, vous vous rendez compte rapidement que c’est le genre de personnage qui donne sans rien attendre de personne. Comment en est-il arrivé là ? Comment arrive-t-il à donner ce que lui-même n’avait pas reçu dans sa jeunesse ? Revue d’une belle rencontre comme on en voit rarement dans sa vie.
Décidément, les plus grands managers de ce monde seront toujours ceux qui atteignent des sommets tout en restant humbles et sans jamais oublier d’où ils viennent. André Dupon en fait partie avec cette particularité qui semble faire exception et qui consiste à concilier rentabilité et entraide sociale. Enfant de la DDASS, il a réussi à gravir les échelons pour se mettre au service des « invisibles », ces femmes et ces hommes brisés par la vie. En quarante ans, le Groupe Vitamine T qu’il préside, a été la bouée de sauvetage pour plus de 50.000 naufragés de la vie. Ce qui n’empêche pas les 32 filiales de générer près de 100 millions d’euros de chiffre d’affaires consolidé. Comment peut-on réaliser une telle performance à partir des déchets de notre consommation courante et en recrutant des employés rejetés par la société et par le marché de l’emploi ? Difficile de trouver un patron aussi proche de ses salariés, de ses naufragés, de ses protégés et de ceux qu’il a toujours considéré comme les compagnons de son aventure entrepreneuriale.
Plus de 6000 collaborateurs forment la grande famille qu’il n’a jamais eue. Plus de 800 employés uniquement dans l’ancienne usine Thomson de Lesquin, devenue l’un des plus grands centres de tri de France. Des employés repêchés dans le tourment de la vie et dont André semble connaître l’histoire et le profil de chacun. Ce sont eux sa fierté et non les machines ni les millions de chiffre d’affaires qu’ils génèrent. On se demande à quel moment le président du Groupe Vitamine T arrive à gérer ses contacts externes tellement ses journées semblent accaparées à saluer ses salariés et à discuter le bout de gras avec chacun d’entre eux. Tantôt pour demander des nouvelles de leurs enfants ou encore pour parler de leur pays d’origine. « Ah, Conakry, c’est magnifique ! », de la même manière qu’il pourrait parler d’Agadir, Dakar, Ouagadougou et de tous ces pays du sud qu’il semble connaître sur le bout des doigts.
Les plus grands managers de ce monde seront toujours ceux qui atteignent des sommets en restant humbles et sans jamais oublier d’où ils viennent.
Dans la semaine qui suivit notre rencontre, André m’avait fait inviter par une collaboratrice pour un déjeuner précédé d’une visite de son centre de tri. Le site est aussi impressionnant par sa surface que par son activité. « Mon cher Habib, quel bonheur de t’accueillir ! ». Bien évidemment, c’était la voix grave, chaude et portante d’André. Posté à l’accueil, en gilet jaune avec un autre gilet pour moi, il m’a accueilli, comme à son accoutumée, avec ses yeux pétillants, bras ouverts et bien tendus en avant.
Nous voilà partis pour une visite que je ne suis pas près d’oublier, tellement elle me semble atypique. Des bacs à n’en pas finir, des broyeurs impressionnants, des machines grandioses, des tonnes de déchets plastiques en ballots, des rayons de tri de matériaux de toute nature, mais là n’était pas l’essentiel. Je m’attendais à une visite technique, ce fut une visite hautement humaine ! André s’arrêtait devant chaque employé croisé pour nous présenter et s’enquérir de son bien-être. Quand il rencontre un salarié pour la première fois, il prend bien soin de l’accueillir comme on le ferait chez soi. « Et vous, qui êtes-vous ? lui demanda un nouveau venu ». Quand André lui annonça qu’il était le président de Vitamine T, le salarié avait cru à une blague. « Je ne pensais pas que l’on pouvait rencontrer le boss comme ça ». « Le boss c’est toi, lui répliqua André. Ici, tu es chez toi ! ». Il n’en fallait pas plus pour arracher un large sourire à l’employé et lui injecter une dose vitaminée de motivation pour sa journée. Ils s’appellent David, Mamadou, Bertrand, Aziz, Romuald et bien d’autres noms que je ne saurais retenir. Des femmes aussi qui discutent entre elles et à qui il fait un grand coucou de loin pendant qu’il apostrophe une équipe de vétérans. Des anciens pour qui il semble vouer une affection particulière, comme pour les remercier d’être encore là, alors que c’est à eux de lui être reconnaissants pour leur avoir offert une place dans la société sans leur imposer le moindre test, diplôme ou niveau d’études . Un défilé interminable pendant l’heure du midi. Une visite tellement inhabituelle que je me suis surpris, machinalement, en train d’immortaliser ces moments avec mon smartphone sans savoir pourquoi. Mais dès les premiers clichés, je savais que cela ferait un bon sujet à partager sur Business Story Magazine.
Je m’attendais à une visite technique, ce fut une visite hautement humaine !
Comment peut-on salarier 800 individus en se basant uniquement sur des déchets collectés ? Cette question me brûlait les lèvres. Quand André m’annonça les prix à la tonne pour chaque matériau trié, j’étais bouche bée. Les dalles d’écrans, les cartes électroniques, le fer broyé, l’aluminium, le plastique ou encore le cuivre sont les valeurs sûres de ce business de l’économie circulaire qui rapporte chaque année plus de 20 millions d’euros.
L’histoire est d’autant plus belle que ce centre de tri s’est quasiment monté sur un coup de poker. Avec son acolyte, Pierre de Saintignon, son « frère de cœur », celui avec qui il a connu l’un des rares deuils de sa vie, André se souvient encore de cet épisode de reprise qui date de 2005. Plusieurs prétendants voulaient récupérer l’ancienne usine Thomson, mais uniquement pour le matériel, alors que Pierre et André ont été les seuls à proposer de conserver les 130 employés du site industriel avec des CDI à la clé. Forcément, aux yeux des pouvoirs publics, cette proposition avait fait pencher la balance en leur faveur. Grâce à la contribution financière d’un certain nombre de grands patrons du Nord, sensibles à la vocation de leur projet, Pierre et André se sont lancés corps et âme dans ce business de l’économie solidaire. L’affaire se devait d’être rentable pour assurer la pérennité salariale des postes maintenus, mais les deux entrepreneurs avaient une vision bien plus ambitieuse. Partageant les mêmes valeurs, ils voulaient faire de ce site le point d’orgue de leur projet de vie. Une vie totalement consacrée à l’inclusion sociale. Assouvir leur rêve de sauver autant d’âmes confrontées à la précarité que la vie pouvait le leur permettre. Débarrasser la planète des déchets produits par notre consommation de masse, les revaloriser pour leur donner une seconde vie tout en créant des emplois pour les plus démunis ! Quelle meilleure mission sur terre pouvait-on accomplir pour rendre ce monde meilleur ? Difficile de trouver une entreprise aussi responsable avec, en prime, une progression à deux chiffres et une rentabilité hors du commun pour assurer un véritable développement durable dans tous les sens du terme. Dans ce domaine aussi, impossible de trouver meilleur exemple. Cela va du mobilier de bureau confectionné à partir des déchets de palettes en bois jusqu’à la flotte de vélos électriques à l’effigie du groupe mise à la disposition du personnel.
Débarrasser la planète des déchets, les revaloriser et offrir des emplois aux démunis, la triple mission de Vitamine T.
Parmi les employés du site de Lesquin, dont l’effectif de 130 salariés est passé à plus de 800 en quinze ans, on rencontre des anciens sdf mais aussi des réfugiés et bon nombre d’âmes perdues, tous remis sur les rails de la vie. Pour André, l’argent n’est qu’un moyen alors que les individus représentent toute sa vie. Dernièrement, on lui a proposé une machine fabuleuse qui devait démultiplier les capacités de production du centre de tri. Mais quand il a appris qu’elle remplacerait quarante postes salariés, il a refusé net. Si ce n’est pas ça être le manager le plus humain au monde, je ne vois pas qui d’autre pourrait l’être.
Découvrez l’histoire complète dans Business Story Magazine n°2 de juillet 2021.
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